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Montée des Bugadières

passage-des-bugadiero.jpg Les ponts du colombierMiniaturesL'oppidum de TourrisLes ponts du colombierMiniaturesL'oppidum de TourrisLes ponts du colombierMiniaturesL'oppidum de TourrisLes ponts du colombierMiniaturesL'oppidum de Tourris


LOU TEMPS DI BUGADIERO par Jean MEIFFRET



pub-savon-blanc-1893



Ce texte est une compilation de deux articles parus en 1992 dans les numéros 15 et 17 du Bulletin des Amis du Vieux Revest.



Ces lignes sont le reflet d'une conférence faite en mairie du Revest le 10 mars 1990, à l'occasion de " La  Journée de la Femme ".



Il y a longtemps que le bruit des battoirs sur le linge dans les lavoirs s'est éteint. Le nôtre a même perdu sa toiture, et de la montée des bugadières, il ne reste que le nom pour rappeler non seulement les ménagères qui s'y rendaient, mais avant tout, et y tenant les premières places dans le droit d'occupation, et la langue bien pendue, les lavandières de profession (lei bugadiere).



Avec la machine à laver familiale et toute la gamme des détersifs, elles sont passées dans le domaine des souvenirs. Il n'y a pourtant que quelques décennies où, du Revest à Saint Roch, dans de nombreux "lavadou", au bord du Béal sur les rives du Las, toute la vallée retentissait du matin au soir du flic flac des battoirs, des rires, des cris et des verts propos des bugadières. Ces femmes furent la couleur locale de Dardennes, type si populaire et si franchement toulonnais. Elles devaient, il est vrai, leur savoir-faire non seulement à leur travail, mais aussi aux eaux vives et fraîches qui coulaient dans la vallée. Toutes les sources participaient par leur abondance à la renommée des lavandières, " maï aco ere lou temps ou marthe filavo, ara debano ".



Il est vrai que ces temps de lessive constituent à nos regards modernes, un des aspects des plus curieux de la vie d'autrefois, en demeurant présente pourtant dans de nombreuses mémoires. La trivialité du sujet et surtout sa spécificité féminine fait que nous possédons peu de documents sur ce travail (hormis la transmission orale). Ce que nous savons par contre, c'est que ce travail fut essentiellement féminin, permettant à ces femmes d'échapper à toute emprise masculine et même maritale dans leur occupation et par là dans ce que ce travail leur rapportait.



Mais étudions dans un premier temps la technique de la bugade ( et ce n'est pas simple ). Le linge récolté chez les pratiques était trié (elles assetadou400disaient "séparé ") : draps, serviettes, chemises, mouchoirs, linge blanc le plus sale d'une part, linge de couleur (lei indiane) d'autre part. On empilait le linge blanc dans un cuvier en bois ou  en zinc (lou tineu ou bugadié). Ce cuvier possédait à sa base un trou que l'on obturait avec une touffe de thym ou d'asparagus en prenant précaution de laisser dépasser par ce trou un morceau de vieux linge pour faciliter la coulée (lou panouchoun per la raïado). Le tineu était posé sur un trépied le plus souvent en bois, quelquefois en pierre ( l'assetadou : trépied pour le baquet) On entourait l'intérieur du cuvier d'un drap de toile grossière (lou flourié) pour protéger le linge à lessiver, en laissant  dépasser de larges parts sur le haut du cuvier. Ensuite on empilait le linge en commençant par le plus sale: draps, mouchoirs (qui avaient reçu auparavant un coup de brosse) serviettes, on terminait par les chemises qui étaient étalées sur le dos impérativement (les chemises étalées sur le devant portaient malheur toute l'année).



D'autre part, on avait tamisé des cendres de bois pour enlever toute trace de charbon (leï carbouniho). Cette opération se faisait au moyen d'un tamis fin (lou vanet). Le cuvier plein, on rabattait les pans du flouriè, on étalait une bonne couche de cendres en y mêlant quelquefois des aromates (thym, verveine, lavande), par-dessus cela, une planche et une grosse pierre pour empêcher le linge de gonfler. Tout à côté dans un chaudron ( lou peïlou ) , on faisait chauffer de l'eau dans le cuvier ( l'eau trop chaude au départ "cuisait" la saleté et faisait un linge douteux ), puis de plus en plus chaude. Le lessif recueilli dans un seau sous le cuvier était remis à chauffer et remis ainsi de suite sur le linge. Lorsque le lessif prenait une teinte " café au lait " ( et les vieilles bugadières avaient l'oeil ), on arrêtait l'opération.



Une fois tiède, on sortait le linge et le lavage commençait. Le savonnage se faisait aux endroits les plus sales. Pour économiser le savon qui coûtait cher, les bugadières avaient une technique pour en user le moins possible: c'était d'entourer le morceau de savon d'un chiffon (lou frottadou). Le brossage ( avec brosse chiendent ) était employé avec précaution car il usait le linge. Toutes ces opérations faites avec force coups de battoir ( lou baceù ) pour exprimer le lessif. Il fallait aussi à ces femmes une bonne dose " d'huile de coude " pour baceler, frotter et tordre le pub-savon-blanc-1893linge."



Les lavoirs étaient disposés de façon immuable, il y avait au départ de la conque le bassin d'eau propre où l'on rinçait le linge ( lou refrescadou ), venait ensuite le lavoir proprement dit ( !ou lavadou ) où l'on savonnait brossait et bacelait; puis venait un troisième bassin ( lou tombant ) où l'on lavait les linges de couleur qui ne passaient pas au lessif. A la rivière ou au béal, le principe était le même : on rinçait en amont, on lavait plus bas et malheur à celle qui se permettait de changer à cet ordre, les injures et les " baceù " rentraient alors en lice ! Les langes et chemises des nourrissons étaient lavés dans un cuvier à part ( lou bugadounet ) et avec seulement des paillettes de savon. Les blouses d'écolier, les pantalons de velours étaient passés dans une infusion de feuilles de lierre ou de noyer pour les rafraîchir.



Le lessif lui n'avait pas fini sa carrière, il servait au lavage des sols carrelés et des pièces à mallon et nombreuses étaient les ménagères qui venaient au " lavadou " chercher un seau de lessif pour faire le ménage. Quant aux braises qui restaient sous le chaudron, elles servaient à alimenter les chauffadous pour tenir les plats au chaud, les chaufferettes ( escoufeto ) pour les pieds, et garnir les bassinoires (caufo-lù ) pour tiédir les lits. Rien n'était perdu !



Ensuite on essorait le linge en le tordant ( pour les draps, il fallait prendre la précaution de les pendre par l'ourlet car les fils de trame sont plus solides que les fils de chaine). On passait aussi le linge fin dans une solution très étendue de bleu azur ( pour palier la teinte ocre que laisse parfois le lessif ), ce qui donnait un blanc plus éclatant.



Il fallait ensuite sécher tout ce linge, soit directement au sol, sur des buissons ou sur des cordes attachées à des piquets à une certaine hauteur. La surveillance du linge était souvent confiée aux enfants. Il y avait les aléas du temps: les jours de mistral, le linge séchait vite, mais il fallait une surveillance accrue, et les jours de pluie étaient une calamité car il fallait rendre le linge à jour déterminé aux pratiques.



Une organisation du travail sur la semaine



Le travail du linge s’organisait sur une semaine.Le lundi, « bien proprettes », les bugadiero allaient en ville rendre le linge propre. C’était l’omnibus à chevaux auquel on adjoignait ce jour-là un grand char à ridelles qui descendait de bon matin le linge propre et ramenait le soir le chargement de linge sale.

Dès le lundi soir, elles commençaient à séparer le linge (blanc, couleur, draps, etc…) et parfois à faire dans la nuit une première lessive.

Le mardi, le mercredi, le jeudi, lessive, lavage et séchage se succédaient.

Le vendredi, on séparait le linge propre par client, on le pliait, on le repassait pour certaines pièces (cela se disait « estirer »).

Le samedi était le jour des paquets, le linge bien plié était rangé dans une enveloppe de toile de jute, serré, épinglé comme un paquetage militaire.

Le dimanche, quelques visites pour les derniers potins et le soir à la lumière de la lampe à pétrole, la mise en ordre des carnets de note des pratiques, et la semaine recommençait.



Au travers de ce rude travail, il y avait le côté folklorique connu de tout Toulon, car les histoires affriolantes, les secrets dévoilés égayaient la vie des lavandous. Aussi les querelles qui éclataient entre elles étaient nombreuses. Il y avait alors assaut de gestes et de paroles dont étaient bannies toute décence et courtoisie. La verve des bugadiero devenait terrible lorsqu’elles l’exerçaient contre un passant qui avait par malheur dit une plaisanterie douteuse, les injures les plus cruelles accueillaient l’imprudent provocateur. Si par exemple un charretier de passage avait l’audace de s’arrêter et de les compter en les montrant du doigt alors toutes les lavadous se déchainaient :

- Vaï l’escoundre, caramentran, criait l’une, vaï ti counta leï péu, vaï counta leï bastardouns à l’ousta, carnava criait l’autre.



La colère croissait, contagieuse. Finalement, une plus excitée que les autres, envoyait le battoir entre les jambes. La verve des bugadiero ne respectait même pas le paisible promeneur. Passait un bourgeois coiffé d’un haut de forme, les galégeades pleuvaient :

- Aqù un qué s’es louga per mesura lou blad.

- Si l’an pas pesa, l’an fa bouano mesuro.

- S’es quitta facha émé sa fremo, à lou gardo-raubo sus la testo.

Si l’individu était atteint d’un vice de conformation les railleries étaient amères. Passait un bossu :

- Pauvre mesquin à un béu agacin darnié l’esquino !

Mais bien souvent c’était entre elles que le « spectacle » avait lieu. Dans les lavoirs où se côtoyaient des beautés naissantes et des charmes flétris par l’âge, les scènes de jalousie éclataient, attisées par les insinuations perfides des commères. Dans ces querelles d’ordre intime, le « bacéù » entrait souvent en lice, avec crêpage de chignon, sans oublier un assaut de gestes et de paroles, tous les points qui couraient sur l’une, étaient amplifiés par l’autre de façon que la galerie n’ignore rien dans tous les détails.



Une bugadièreLes lavoirs avaient aussi leur temps de silence. Bien avant les congés payés, elles s’étaient octroyées trois semaines de repos ; vacances, il est vrai, imposées par des traditions religieuses et par des superstitions venues de la nuit des temps. On ne lavait pas la semaine Sainte, la semaine de la Toussaint et la semaine de Noël. Le lundi pour descendre en ville, elles faisaient « toilette ». Combien elles étaient accortes avec leur caraco serré à la taille, leur cotillon court à raies rouges ou bleues, leur démarche dégagée malgré le lourd paquet qu’elles portaient sur la tête, elles allaient d’un pas alerte et sûr, les reins cambrés, la taille flexible, les hanches houlant en un balancement rythmique : « lou balant ».

En 1912, la construction du barrage de Dardennes va faire disparaître une partie des bugadières qui lavaient au Béal.

Celles qui avaient un morceau de jardin, voire une courette, vont faire construire des lavoirs à leurs frais et continuer les bugades.

Au début du siècle, les bugadières du Revest et de Dardennes rapportaient par an 23000 francs or aux municipalités. Après les difficultés de la dernière guerre, le coup de grâce va leur être porté aux alentours des années 1955-1960 par les machines à laver. Si en 1938, il y avait au Revest village huit bugadières déclarées (indicateur du Var), en 1948, elles n’étaient plus que trois, alors qu’à la fin du 19ème début du 20ème, cent cinquante à deux cents personnes lavaient du linge pour des gens de la ville. La dernière qui faisait encore « Bugade » au Revest cessa son activité en 1981 et les deux clients qui lui restaient ne lui confiaient que des draps. C’étaient des nostalgiques fidèles au travail à l’ancienne. Le couronnement des machines à laver, des poudres, des liquides et détersifs de grande diffusion ont remplacé battoirs, brosses et lessif à la cendre de bois.

Maintenant, les lavoirs désertés sont souvent démolis par les municipalités à la recherche d’espaces libres, quelquefois restaurés. Des ménagères viennent y rincer leur linge. On entretient ces bâtiments pour les touristes, pour la poésie d’un site que l’on respecte, bien qu’ils ne servent plus à rien.



Que de choses pourraient raconter au murmure de l’eau ces lavadous, que de joie, que de secrets, que de peine et de travail sont là, accrochés aux vielles pierres polies par le frottement du linge. Bien avant les textes sur la condition féminine, les « bugadiero » furent des femmes libres dans l’organisation de leur travail et de leur vie de femmes actives.



Bibliographie




  • PAUL A. « La vallée de Dardennes » 1900


  • RONDILLAUD C. « Les lavandières de Saint-Roch »


  • TROFIMOFF P. « Le Revest Val d’Ardène »


  • ALPES DES LUMIÈRES « La Femme à la fontaine » n°16


Dimensions
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3 commentaires

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  • Katryne - Mardi 27 Juin 2017 14:17
    [Essai de résumé pour le "Livre des 30"]

    Il y a longtemps que le bruit des battoirs sur le linge dans les lavoirs s'est éteint. De la montée des bugadières, il ne reste que le nom pour rappeler non seulement les ménagères qui s'y rendaient, mais avant tout, les lavandières de profession (lei bugadiere).

    Il n'y a pourtant que quelques décennies où du Revest à Saint-Roch, dans de nombreux "lavadou", au bord du Béal sur les rives du Las, toute la vallée retentissait du matin au soir, du flic flac des battoirs, des rires, des cris et des verts propos des bugadières. Elles devaient leur savoir-faire non seulement à leur travail, mais aussi aux eaux vives et fraîches qui coulaient dans la vallée. Toutes les sources participaient par leur abondance à la renommée des lavandières, " maï aco ere lou temps ou marthe filavo, ara debano ".

    Le travail du linge s’organisait sur une semaine. Le lundi, « bien proprettes », les bugadiero allaient en ville rendre le linge propre. C’était l’omnibus à chevaux auquel on adjoignait ce jour-là un grand char à ridelles, qui descendait de bon matin le linge propre et ramenait le soir le chargement de linge sale.

    Dès le lundi soir, elles commençaient à séparer le linge (blanc, couleur, draps, etc…) et parfois à faire dans la nuit une première lessive.
    Le mardi, le mercredi, le jeudi, lessive, lavage et séchage se succédaient.
    Le vendredi, on séparait le linge propre par client, on le pliait, on le repassait pour certaines pièces (cela se disait « estirer »).
    Le samedi était le jour des paquets, le linge bien plié était rangé dans une enveloppe de toile de jute, serré, épinglé comme un paquetage militaire.
    Le dimanche, quelques visites pour les derniers potins et le soir à la lumière de la lampe à pétrole, la mise en ordre des carnets de note des pratiques, et la semaine recommençait.

    En 1912, la construction du barrage de Dardennes va faire disparaître une partie des bugadières qui lavaient au Béal. Celles qui avaient un morceau de jardin, voire une courette, vont faire construire des lavoirs à leurs frais et continuer les bugades.

    Au début du siècle, les bugadières du Revest et de Dardennes rapportaient par an 23000 francs-or aux municipalités. Après les difficultés de la dernière guerre, le coup de grâce va leur être porté aux alentours des années 1955-1960 par les machines à laver. Si en 1938, il y avait au Revest-village huit bugadières déclarées, en 1948, elles n’étaient plus que trois, alors qu’à la fin du 19ème, 150 à 200 personnes lavaient du linge pour les gens de la ville. La dernière qui faisait encore « Bugade » au Revest cessa son activité en 1981 et les deux clients qui lui restaient ne lui confiaient que des draps. C’étaient des nostalgiques fidèles au travail à l’ancienne.

    Bien avant les textes sur la condition féminine, les « bugadiero » furent des femmes libres dans l’organisation de leur travail et de leur vie de femmes actives.
  • Pascale - Mardi 27 Juin 2017 23:38
    j'aime beaucoup , voir, très beaucoup le texte d'origine!!!
    le résumé aussi, bien sûr !!ne peut-on laisser le texte d'origine ?????
  • Katryne - Mercredi 28 Juin 2017 09:17
    Je suis bien d'accord avec Pascale : le texte complet forme un ensemble très bien structuré et tellement passionnant. J'ai juste voulu proposer une alternative plus brève (et c'est encore bien long) pour essayer de faire entrer cette notice dans le moule du Livre des 30.

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