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L’origine de Tourris se perd dans la nuit des temps. Au plus loin que les papiers s’en souviennent, certains parlent de 1084, d’une bulle du pape Grégoire VII, d’autres d’une mention du « castrum de Turriz » dans la liste des localités du diocèse de Toulon en 1232. Le vieux Tourris, qui couronne la colline dominant l’actuel château, était peut-être un poste romain, fortifié après la conquête de la Gaule par César : on y a trouvé des débris de tuiles de l'époque et une citerne à l'ouest de l'enceinte semblant aussi de facture romaine.

L'existence du village fortifié du Vieux Tourris (aujourd'hui appelé Vieille-Valette, bien qu’essentiellement sur la commune du Revest) est avérée par des documents écrits à partir de 1084. Et l'on estime qu'il sera abandonné vers 1360, une fois passée la terrible période des invasions.

Le Vieux Tourris vers 1360 selon une maquette réalisée par Richard Roquebrun

Le Vieux Tourris vers 1360 selon une maquette réalisée par Richard Roquebrun

​Le fief de Tourris

On ne trouve trace d’une seigneurie de Tourris qu’en 1287 avec une transaction de Reforciat de Trets, seigneur de Tourris. Ce qui ne signifie pas que Reforciat réside sur place dans un château, seulement qu’il détient les terres de Tourris et que Tourris est l’un de ses titres. Tourris entre alors une première fois dans le giron de la maison noble des Marseille Vintimille. Et il va changer de titulaire par succession, mariage, vente, échange selon des modalités que nous ne pouvons souvent que déduire.

Une société féodale

La féodalité est un système politique régissant des obligations, surtout militaires, envers un seigneur, de la part d’un homme libre, le vassal. En contrepartie, le seigneur concède au vassal un bien souvent immobilier dit fief.
L’organisation féodale de la Provence a été longue à se mettre en place : l’aristocratie locale, très indépendante, se montrait réfractaire à toute relation hiérarchique. Les habitants, quant à eux, s’étaient déjà organisés en communautés, urbaines et rurales.
Mais en 973, les faits de guerre du comte de Provence Guillaume le libérateur assoient son autorité : aidé par les forces armées des seigneurs locaux, il vainc et chasse les Sarrasins qui installés dans les Maures razziaient la région. Guillaume va alors distribuer à ses vassaux les terres reconquises sur les Sarrasins dans l’actuel est varois et organise ainsi une première féodalité provençale presque consentie.

Donc en 1287, il y a un Seigneur de Tourris et il se nomme Reforciat Gaufridet de Marseille Trets.

Son héritière, sa fille Sibylle de Marseille Trets, épouse en 1280 Raymond du Revest. Après leur mort vers 1316, leur fille Marguerite de la Roche du Revest l’apporte en dot à Raymond II de Montauban († 1371). La seigneurie de Tourris passe ensuite à leur fils Reynaud de Montauban († 1385) puis à la génération suivante : Raymond III de Montauban, époux d’Isabelle de Simiane. Enfin à Elzéar de Montauban. Dans les textes de l’époque le nom de cette famille s’écrit aussi Montalban, Montanban, Montalbano, parfois Monte Albano. Tous les écrits sont en latin.

Elzéar est un peu avant 1432 seigneur du Revest, de la Valdardenne et de Tourris et il cède (mais c’était plutôt un échange) ces trois fiefs à Bertrand V de Vintimille, des vicomtes de Marseille.

Le 21 décembre 1437, Jean d’Armand de Garcinière fait hommage de ses terres du Revest, de Tourris et de la Val d’Ardenne, au comte de Provence. C’est-à-dire qu’il s’engage solennellement auprès de son supérieur dans la hiérarchie féodale (le comte de Provence) à remplir les devoirs et services en compensation de ce qu’il a reçu, soit la concession immobilière d’usufruit des trois fiefs.
Entre 1432 et 1437, que s’est-il passé ? Et entre 1437 et 1447 ?

En 1447, Tourris était au seigneur d’Ollioules, donc à la maison des Marseille Vintimille. On sait ensuite que c’est Melchior, arrière-petit-fils de Bertrand V de Vintimille qui échangera le fief de Tourris avec Jean de Chautard en 1550. Jean de Chautard donne le fief à sa fille Catherine en 1551 au moment où elle se marie avec Louis de Nas et le domaine de Tourris va rester jusqu’en 1785 dans la famille de Nas qui le cède alors au négociant toulonnais Joseph Aguillon. Depuis lors, on connaît bien pour Tourris tous les seigneurs (avant la Révolution) et les propriétaires (après).

​Consistance du domaine de Tourris

Quelle est donc l’étendue du domaine de Tourris ? Nous n’avons pas toutes les données.
- Gabriel Domenech parle de 1500 ha au XVIe siècle
- Le projet de vente aux enchères de 1822 porte sur 1899 ha
- Les actes de vente de 1824 et 1833 concernent 1040 ha
- Vente de 1861 : 1025 ha
- Vente de 1879 : 1055 ha
- Vente de 1952 : 45 ha
- Vente de 1998 : 96 ha

Le village médiéval fortifié du Haut-Tourris est abandonné vers 1360. Aussi quand en 1395, on évoque un château de Tourris, il devait s’agir d’une grosse bastide élevée dans la plaine.

Les consuls de Toulon désignèrent « les Nobles Vincent et Antoine et Messires Antoine et Jacob » pour qu'ils se rendent auprès du sénéchal et du Conseil Général pour régler au mieux «la paix qui doit avoir lieu entre la ville et les châteaux de Tourris et du Revest...».

En 1536, les terres de Tourris ont été ravagées par des razzias et tout y est détruit lors du « recensement général des lieux, villages et châteaux inhabités » ordonné en 1540 par un arrêt du Parlement de Provence et établi par Louis Burle, membre de la Cour des Comptes, désigné pour visiter la région de Toulon.

Le jeudi vingt-deuxième du mois de juillet de l’an 1540, je me suis fait transporter au lieu de Tourris, auquel lieu je n’ai trouvé personne, preuve qu’il n’est pas habité, et me suis retiré au Revest, proche dudit lieu, et là, dans la maison d’un particulier dudit lieu, ai fait appeler Hugues Vidal, syndic dudit Revest, Jehan Dartigue, Hugues Hermitte et Pierre Vidal, lesquels interrogés par moi pour savoir en quel lieu se trouvait le Château de Tourris et quelles maisons il y a et quelles charges ont, ont dit que le terroir de Tourris est possédé tant par les hommes du Revest que par ceux de La Valette, qu’au dit lieu, il n’y a ni maisons ni châteaux, car tout est détruit, qu’il y a des bastidons pour la remise des hommes quand ils vont travailler.
Quant aux charges, ils payent la tasque (=droit sur les fruits et légumes) au Seigneur de Tourris et un onzième sur les blés et autres, et une dîme d’un treizième au Chapitre de Toulon, ils n’ont pas d’autres charges. Quant aux commodités, ils ont dit que le terroir est bon, qu’il y a des pasturages auxquels les hommes du Revest, de La Valette, de La Garde et de Toulon ont droit.

Ces inventaires, recensements, livres terriers et autres matrices cadastrales n’ont qu’un objectif fiscal.

 

En 1540, il y a donc un seigneur de Tourris, mais aucun résident permanent, même pas le seigneur. Tourris est désert, même si des paysans des villages voisins viennent y travailler la terre et faire paître leurs troupeaux. De ce désert qui n’est pourtant pas sans ressource, la famille de Nas va, en moins d’un demi-siècle, faire un domaine agricole immense, riche et repeuplé, et elle va résider pendant 235 ans dans ce nouveau château (avec sa chapelle) qui sera encore rénové et agrandi au début du XVIIIe siècle. Voilà comment Gabriel Domenech raconte en 1975 le passé du domaine de Tourris :

Car le passé fut extraordinaire. Bien longtemps avant que Toulon ne soit Toulon, alors que La Garde et Hyères étaient encore des marais, des hommes vivaient là. Et les archives rappellent qu'il y a moins de quatre siècles (nous sommes en 1975), il y avait encore une propriété de 1 285 hectares, 5 000 mûriers, une magnanerie importante, et des oliviers en telle quantité qu'on pouvait en tirer 42 000 litres d'huile ... qui furent livrés, telle année, à Tarascon, Avignon et Châteauneuf-du-Pape. Le voyage dura vingt et un jours !

 

C’était donc un domaine immense, qui put occuper jusqu’à 1900 hectares, selon les époques, répartis entre les communautés du Revest, de La Valette et de Solliès-la-Ville, selon l’ancien nom. Soit 20 fois plus que le domaine actuel. Si vaste que sa gestion généra des soucis financiers à plusieurs de ses propriétaires.

Jean-Baptiste de Nas de Tourris à la fin du XVIIIe siècle était sans doute bon capitaine, mais piètre gestionnaire. Pour renflouer ses finances, il avait commencé depuis 1779 à vendre Tourris pièce par pièce quand ses fils, voulant arrêter l’hémorragie, ont contraint leur père en 1783 à leur céder ce qui restait du domaine au titre du remploi de la dot de leur mère.

En 1785, les fils de Nas de Tourris cèdent ce qui reste du domaine à Joseph Aguillon, industriel et négociant, réservant à leur famille le port du nom de « Tourris » qui jusqu’à présent était attaché au domaine. Les deux frères de Nas de Tourris vont bientôt quitter la métropole et faire souche tous deux dans l’océan indien.

Joseph Aguillon avait commencé à reconstituer l’ancien domaine de Tourris par trois autres acquisitions entre 1785 et 1788.

Le fils de Joseph, Pierre complète de 1809 à 1819 la reconstitution du domaine par l’achat de douze anciennes parcelles de Tourris sur les trois communes du Revest, de La Valette et de Solliès-Ville (celles dispersées pendant 20 ans par Jean-Baptiste de Nas) et quand il héritera de son père en 1824, il aura reconstitué Tourris dans toute son étendue et son unité d’autrefois.

Lors de la Révolution, la seigneurie de Tourris avait été abolie, le fief supprimé, les terres réparties entre les communes du Revest et de La Valette. Les biens immobiliers ont été remis à ceux qui les exploitaient. Il en fut ainsi pour La Ripelle : cette partie du fief de Tourris était depuis des siècles donnée en location par bail emphytéotique, bail qui pouvait se vendre. Ses locataires, malgré leur statut d’émigré, en recouvrèrent la jouissance et donc la propriété vers 1808. Mais avec l’abolition des privilèges, les propriétaires de Tourris avaient perdu le droit d’en percevoir le loyer. L’organisation féodale avait cédé la place à un système de propriétaires terriens, sans plus aucune relation hiérarchique.

Mais un mystère demeure. Joseph Aguillon, fut avec de nombreux membres de sa famille, sur la liste des émigrés de Toulon pendant la Révolution. Mais il revient assez vite et nous n’avons pas trouvé à ce jour de preuve de nationalisation de Tourris au titre de bien d’émigré ni d’une procédure légale par laquelle il aurait pu recouvrer la propriété de Tourris après son retour d’émigration. On a vu que son fils Pierre passa onze ans à racheter des parcelles pour compléter le domaine tel qu’il était avant que Jean-Baptiste de Nas ne l’émiette. Mais on trouve trace en 1822, soit avant le décès de Joseph, d’un projet de vente aux enchères de « l’ancienne seigneurie de Tourris » avec une contenance de 1899 hectares.

 

   

Quand Pierre Aguillon vend Tourris début 1824 après la mort de son père, à Louis Teissier, un négociant de Marseille, l’acte de vente porte sur 1040 hectares sur les 3 communes du Revest, de La Valette et de Solliès-Ville. D’où vient la différence avec les 1899 hectares du projet de vente de 1822 ? La Ripelle peut-être ? Et les autres biens loués sous l’ancien régime ?

Louis Teissier crée la verrerie en 1826. Puis il fait de mauvaises affaires et Tourris est vendu aux enchères en 1833 à la demande de ses créanciers (1040 hectares). Les nouveaux acquéreurs de cette « propriété rurale » vont la conserver 28 ans, aux termes desquels, Émile Teissier rachète l’ancien domaine de son père, le rénove, enfin, du moins la chapelle, pour ce qu’on en sait. On en est toujours à 1040 ha, mais l’acte de vente est pour sa description quasi un copier-coller de celui de 1833.

Fin 1879, Henriette de Gasquet achète aux héritiers Teissier cette grande « propriété rurale » de 1055 ha sur les trois communes du Revest, de La Valette et de Solliès-Ville. L’acte de vente la décrit ainsi :

Un grand corps de bâtisse, flanqué de deux tourelles appelé le Château de Tourris avec allée de platanes et jardin clos de murs. Divers bâtiments entourant le château et renfermant les caves, celliers, écuries, greniers à foin, des logements de paysans et d’une chapelle fort ancienne et vénérée. Bâtiments d’habitation et d’exploitation pour les cultivateurs, et en dehors, de divers corps de logis servant de logements aux ouvriers employés à l’exploitation du domaine. Il y a également de vastes bâtisses ayant servi autrefois de verreries et de goudronneries. Terres cultes et incultes, terres fermables, puits artificiels. Jardins, vignes, oliviers, arbres fruitiers, fontaines, bassins, réservoir et citerne. Bois de pins, chênes verts, chênes blancs, chênes à liège. Carrières de sable propres à la fabrication de verre et carrières de pierre.

Entre 1880 et 1950, Henriette de Gasquet, puis son fils Guy vont exploiter le domaine et faire travailler 50 à 100 personnes selon l’époque : agriculture, bois, carrières. La verrerie avait depuis longtemps cessé toute activité, bien avant 1860 quand George Sand y passa.

En 1952, Guy vend à la société Formétal 45 hectares, tout sur Le Revest, terrain détaché d’une plus grande propriété. Cinq ans auparavant, il avait déjà vendu les 11 hectares de La Chaberte, sur la commune de La Valette, à Toussaint Hermitte. Et 28 hectares entre les Bouisses et les Olivières à Henri de Mostuéjouls. Nous supposons que le reste du grand domaine a été exproprié au bénéfice de la Marine Nationale pour installer la pyrotechnie de Tourris, mais nous n’avons pu en trouver trace, ce doit être classé secret défense…

En 1998, la société Formétal, en difficultés financières, avait été rachetée par ses salariés, mais sans les biens non professionnels dont Tourris fait partie. Formétal propose donc aux enchères le domaine de Tourris avec ses 96 hectares qui va être attribué à René Gillet. Cet entrepreneur parisien va prendre à cœur de rénover tout le domaine, tant les pierres que les terres. Le château et la chapelle ont retrouvé aujourd’hui le prestige d’antan. Comme dans les temps anciens, les oliviers et les vignes replantés contribuent à la richesse et à la renommée du Domaine de Tourris. Une activité d'événementiel et de réception y est adjointe plus récemment.

En saurons nous plus qu’au début de cette page sur l’histoire du domaine de Tourris ? En connaîtrons jamais que des brides, issues d’archives éparses : extraits de jugements, contrats de mariage, nobiliaires, armoriaux, plus récemment de transactions immobilières ? Nous avons essayé d’amalgamer en un ensemble logique tous ces indices, mais au bout du compte, pour être honnêtes, nos capacités de déduction n’aurons permis que de dégager de grandes lignes, laissant une grande place à l’imagination.